
Rénover la psychiatrie
Le 25 janvier 2023, lorsque Lysane Gendron s’est rendue au domicile de son fils à sa demande, elle fut accueillie par celui-ci, confortablement installé dans son fauteuil. Il tenait le livre Sorcières, la puissance invaincue des femmes. Il a ensuite répété plusieurs fois le titre du film J’ai tué ma mère de Xavier Dolan. Enfin, il lui a demandé de quitter son logement.
Quelques heures plus tard, cependant, Emmanuel écrit à sa mère pour lui demander de revenir chez lui. À 7h11, le frère d’Emmanuel reçoit un message de leur mère lui indiquant d’appeler la police. Lorsque la police est arrivée, il était trop tard : Lysane avait été poignardée une centaine de fois par son fils.
Responsable ou victime de son esprit ?
Ce qu’il faut savoir, c’est qu’Emmanuel Gendron-Tardif souffrait de troubles psychotiques depuis quelques mois, qui avaient évolué en schizophrénie. De plus, il consommait des champignons hallucinogènes et du cannabis, ce qui empirait son état. Lors du meurtre de sa mère, en pleine psychose, il croyait se trouver dans The Truman Show.
Sorti en 1998, ce film raconte l’histoire de Truman Burbank, interprété par Jim Carrey, qui découvre que toute sa vie se déroule sur un plateau de tournage et, à son insu, est filmée et diffusée en direct. Tous les gens autour de lui, de sa famille jusqu’aux membres de sa communauté, sont en réalité des acteurs payés pour maintenir l’illusion. Finalement, Truman réussit à s’échapper du décor et à vivre une vie réelle.
Après avoir répété sans relâche le titre J’ai tué ma mère, Emmanuel en est venu à la conclusion que la seule solution pour lui de « sortir du décor » était de tuer sa propre mère.
Lors de son procès, il fut reconnu non criminellement responsable du meurtre de Lysane. Soutenue par deux psychiatres, la juge Hélène Di Salvo a conclu que l’accusé était en état de psychose au moment des faits. Malgré tout, Emmanuel admet avoir tué sa mère. Depuis son arrestation en 2023, il est détenu à l’Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel.
Le cri du cœur de Julien
PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE
La famille d’Emmanuel Gendron-Tardif, lundi 31 mars, au palais de justice de Montréal
Le frère de l’accusé, Julien Gendron-Tardif, affirme que les failles du système de santé sont en partie responsables de la mort de sa mère. Il déclare :
« Est-ce que le système aurait pu faire mieux ? Si le suivi que Manu avait reçu avait été plus serré. Si nous, en tant que famille, on avait été informés des risques. Si on avait, surtout, pris le temps de nous indiquer des ressources en cas de crises psychotiques graves. »
En évoquant le suivi insuffisant de son frère, il fait référence à son hospitalisation en août 2022 à l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal, où on lui diagnostiqué un trouble psychotique lié à sa consommation de cannabis. Julien déclare :
« Manu y est resté pendant une semaine. Si l’Institut avait pu déceler un début de schizophrénie au lieu de tout lier à une consommation de cannabis… »
Effectivement, son état s’est aggravé quelques mois plus tard, en décembre 2022. Lors d’une partie de Monopoly, Emmanuel avait été pris d’une peur face à une caisse enregistreuse. Julien l’a emmené à l’hôpital psychiatrique, mais Emmanuel a refusé d’y entrer. Et un mois plus tard, en janvier 2023, le pire est arrivé.
Un système critiquable
Ce qui me choque personnellement, c’est que le système de santé mentale n’a que très peu évolué en plusieurs années. Julien Gendron-Tardif partage cette inquiétude :
« Absolument rien n’a changé en 2025. C’est effrayant. Comment puis-je faire confiance au système ? »
Cette cause me tient à cœur, car un membre de ma famille a vécu une histoire similaire. Il consommait régulièrement du cannabis. Rapidement, il a commencé à avoir des hallucinations : des silhouettes immobiles dans les coins des pièces, des voix l’interpellant. Il était convaincu que les présentateurs des nouvelles lui envoyaient des messages codés.
Peu après, il a tenté de se rendre à Miami pour aller mendier de l’argent. Il a été intercepté avant de quitter le pays.
Après une consultation avec ce membre de ma famille, un psychiatre a conclu qu’il ne représentait pas un danger pour lui-même ou pour sa famille. Présenter un risque grave envers sa propre sécurité ou celle d’autrui est un critère pour être interné sans son consentement lorsque le patient est un adulte.
Il s’est suicidé seulement quelques mois plus tard, à l’âge de 24 ans.
C’était en 2005. Et pourtant, encore aujourd’hui, le système n’a toujours pas su protéger Emmanuel et sa famille. Les instituts psychiatriques au Canada ont besoin d’instaurer des règles plus strictes pour ce genre de cas.
Une fenêtre sur l’invisible
Pour avoir une réelle représentation de ce qui se passe derrière les murs de centres psychiatrique, j’ai eu une discussion avec une psychiatre à l’Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel depuis presque 30 ans. Bien sûr, elle ne peut révéler aucune information sur ses patients en raison du secret professionnel.
Je lui ai d’abord demandé de m’expliquer ce qu’est la schizophrénie. Voici ce qu’elle m’a répondu :
«La schizophrénie, c’est une maladie du cerveau qui affecte surtout la pensée, mais il y a aussi les sentiments, il y a les émotions et il y a les perceptions. […] Ça l’influence aussi les comportements que les personnes, et souvent ce qu’on connaît de la schizophrénie, c’est les gens qui se mettent à dire qu’ils voient des choses qui n’existent pas en réalité ou qui entendent des choses qui n’existent pas réellement autour d’eux.»
Pourtant, dans le domaine de la santé mentale, il y a beaucoup de zones grises. La psychiatre m’en glisse quelques mots.
« C’est facile à observer, tant que la maladie est vraiment installée. Sauf que la maladie n’est pas nécessairement visible dans les débuts. On peut avoir des gens autour de nous qui sont en début de maladie. Puis, ce qu’on va voir, c’est que tranquillement, la personne a des troubles d’attention, a des troubles de la mémoire ou de l’apprentissage. De temps en temps, on va entendre aussi ces personnes-là. […] Ce qui va attirer le plus notre attention, c’est par exemple, ils vont traiter l’information de façon différente que nous. Des fois, ils vont déformer la réalité aussi. Sinon, ils peuvent avoir des comportements différents. Exemple pour une situation similaire, vous êtes au même lieu, à la même place. Eux, ils vont percevoir des choses que vous, vous ne percevez pas. »
J’ai demandé à celle-ci si la famille était impliquée dans le processus, puisqu’une critique souligné par la famille d’Emmanuel, c’est que leur opinion n’était pas prise en compte. Elle m’a répondu;
«Si on a la chance d’avoir contact avec la famille, oui effectivement dans le traitement on les implique. Seulement si le client le veut aussi, parce qu’en général, nous, c’est une clientèle adulte. On a une seule unité d’adolescents, mais en général, c’est ça. Les adultes, il faut avoir leur permission pour impliquer au traitement la fratrie ou les parents. »
Alors même s’il est préférable d’avoir un avis extérieur sur la situation, ce n’est pas toujours possible.
Des mesures préventives pour éviter d’autres drames
Je partage les mêmes pressentiments que Monsieur Gendron-Tardif : les suivis devraient être plus rigoureux. Il devrait y avoir des suivis obligatoires pour les personnes relâchées après une hospitalisation, ainsi que pour celles atteintes de troubles mentaux graves.
Ensuite, des consultations faites à domicile plutôt que dans les hôpitaux pourraient être bénéfiques, car cela empêcherait les patients de faire une crise et de refuser d’entrer, comme l’a fait Emmanuel en 2022.
Je pense également qu’une meilleure communication avec la famille du patient devrait être établie. Par exemple, le frère de l’accusé demandait :
« Est-ce que le système aurait pu faire mieux ? […] »
Des ressources pour les membres de la famille devraient être plus accessibles.
Aussi, je crois que des formations sur la santé mentale à l’école (secondaire et cégep) seraient grandement bénéfiques pour les étudiants. Cela devrait s’accompagner d’une sensibilisation aux risques du cannabis et des hallucinogènes, et à leur lien avec les psychoses. Éduquer un public plus jeune sur les psychoses est important, puisque, effectivement, la plupart des diagnostics sont posés entre 20 et 34 ans. Je crois que les médecins de famille du secteur public devraient recevoir une meilleure formation pour pouvoir détecter les signes précurseurs de cette maladie mentale. Ensuite, mettre en place des groupes de soutien pour les proches des patients est également essentiel. Par exemple, on pourrait offrir des formations gratuites pour apprendre à gérer des crises psychotiques à la maison.
Un psychiatre devrait pouvoir donner aux familles un contact direct avec un professionnel de la santé, disponible en cas d’urgence.
Finalement, je pense qu’il faut moderniser les protocoles d’urgence de la police, pour que les agents puissent être accompagnés de spécialistes lors des interventions liées à des crises psychotiques.
Comprendre pour mieux prévenir
Grâce à des organismes comme la Société québécoise de la schizophrénie (SQS), il est possible d’obtenir plus d’informations pour les membres des familles impliquées.
Sinon, la SQS offre aussi des onglets comme traitements, rétablissement, prévention et accompagnement. Sous l’onglet « Services SQS« , on peut voir qu’ils offrent plusieurs services très intéressants.
C’est dommage qu’un organisme comme celui-ci ne fasse pas plus d’écho dans l’actualité.
En bref, si on ne peut pas revenir dans le passé, on peut faire le choix de mieux faire, et ce, à partir de maintenant. Parce que derrière chaque psychose, il y a une famille, une vie et trop souvent, une douleur qui aurait pu être épargnée. En effet, face à un drame comme celui d’Emmanuel, il y a beaucoup de souffrance et d’incompréhension. Il ne nous reste donc qu’une seule chose : l’action. Sensibiliser, améliorer les suivis, soutenir les familles et briser les tabous entourant la santé mentale sont les premiers pas vers un système plus humain.
Je vous invite donc à vous référer au site https://www.schizophrenie.qc.ca/fr/ si vous êtes intéressé à faire un don pour la cause.
Sources
https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2152189/emmanuel-gendron-tardif-non-criminellement-responsable
https://ressourcessante.salutbonjour.ca/condition/getcondition/schizophrenie
https://www.schizophrenie.qc.ca/fr/causes