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Il pleuvait des oiseaux

Création littéraire

Émile Boulanger

Les vaguelettes de la rivière venaient périodiquement lécher mes pieds. L’eau froide me vivifiait, tranchant avec le soleil chaud de ce matin de mai. Les rapides tourbillonnaient devant moi, leur écume emportant dans sa valse folle une branche égarée. Le vent bruissant dans les feuilles accompagnait le grondement rythmique de l’eau dévalant son lit. Dans les arbres, les jeunes feuilles pâles s’abreuvaient de soleil. La nature célébrait ce jour nouveau. Il faisait bon vivre dans la vallée ce jour là, et je ne faisais qu’un avec le paysage. Puis, un objet d’un blanc saugrenu attira mon regard. Se dandinant maladroitement au gré des flots, une bouteille de détergent était portée par le courant. Un deuxième ovni vint la rejoindre. Frayant difficilement son chemin dans les rapides, un pneu se joignit à la danse. Puis une autre bouteille. Puis un contenant de styromousse. Puis un sac de plastique. Encore, encore et encore, des déchets vinrent peupler la rivière. Dégoûté, je m’éloignai du cours d’eau, le coeur en miettes. Croyant m’enfoncer dans la paix imperturbable des bois, je fus pris de surprise par le terrible bruit d’un camion passant près de moi. Déconfit, je débouchai rapidement sur une route fendant sans pitié la forêt. Gisant au beau milieu de l’asphalte noire, un raton laveur était figé, disloqué et ensanglanté. Je sentis mon coeur se tordre. Je cheminai sur cette route quelques minutes, les pensées à vif. Une cacophonie m’extirpa de mes idées noires. À ma droite, une clairière s’ouvrait sur un spectacle de fin du monde. Des machines immenses et bruyantes coupaient les arbres, les déracinaient, les débitaient. À des kilomètres à la ronde, la forêt était anéantie. Soudain, un cerf sortit du bois à la course, effrayé. Une détonation retentit, et il s’écrasa au sol, la poitrine décorée d’un horrible trou rouge. Le cri d’un corbeau résonna dans le ciel. Un deuxième animal effarouché fut abattu froidement. Un ruisseau de sang se formait, coulant entre mes pieds nus. Le premier oiseau tomba. Les hommes coulaient du béton et bâtissaient à un rythme effréné. La végétation dense n’était plus qu’un vague souvenir. Les oiseaux tombaient comme des mouches. Le bitume dévorait le sol, les bâtiments obstruaient le ciel. Et les oiseaux tombaient, telle une pluie de plumes et de sang.

Je me réveillai. La lumière du soleil pénétrait par la fenêtre de ma chambre. Le temps semblait suspendu, Je posai un pied au sol, puis un deuxième, et m’approchai de la fenêtre. J’observai le bleu du ciel, les arbres bougeant dans le vent, les écureuils courant dans l’herbe verte. L’un d’entre eux fit mine de traverser la rue. Une voiture surgit sans prévenir. Elle s’éloigna pour laisser derrière elle un spectacle désolant: celui du rongeur, sans vie, étendu sur la route. La vérité me frappa alors. Nous étions à la veille de mon cauchemar.